ARDELAINE : Créer de l’activité sans perdre le lien au territoire

A Saint-Pierreville, une vallée ardéchoise revit, autour de la filière laine mais pas seulement. Ardelaine, à chacune de ses étapes stratégiques, a privilégié son imbrication avec le territoire.

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Photo Ardelaine

Avec l’idée de relancer la filière laine en Ardèche, il y a quarante ans, l’équipe d’Ardelaine (à Saint-Pierreville), s’est donné surtout pour objectif de créer de l’activité sur un territoire. Un projet qui a porté ses fruits comme l’ont expliqué deux des co-fondateurs d’Ardelaine, Béatrice et Gérard Barras, lors des 3es Rencontres des Ami.es de François de Ravignan le samedi 22 novembre 2014 à Greffeil.

Au départ, ils étaient un groupe de sept et avaient mené un chantier de réhabilitation d’un hameau ancien dans les gorges de l’Ardèche, avec des jeunes, autour d’une pédagogie coopérative. A la même époque, ils ont découvert la situation de l’élevage local, avec des éleveurs travaillant beaucoup pour de maigres revenus. Ils avaient été choqués de voir que ces éleveurs jetaient la laine sur les tas de fumier, parce que personne ne l’achetait.

Dans le cours de leur réflexion, ils sont tombés sur une ancienne filature de laine, fermée depuis les années 60 ; il y avait encore les machines. C’était une petite filature locale, de service aux paysans, dont les produits étaient vendus 50 km à la ronde.

En 1975, l’équipe décide d’essayer de faire quelque chose à partir de la filature, dans l’idée d’une restructuration de la filière laine. « Nous étions sans le sou », dit Béatrice, « sans les savoir-faire, il fallait faire le pas dans l’économie, voir quels produits fabriquer, à qui les vendre, connaître les règles en vigueur… Il nous a fallu sept ans pour mener à bien le projet. »

Une vallée devenue « no future »

« Nous avons eu un autre choc », poursuit Gérard : « Dans cette vallée, il y avait des ruines partout, les jeunes étaient partis dans la Vallée du Rhône, c’était vraiment no future. »

Ils sont allés voir les agriculteurs qui jetaient la laine et ont vu qu’ils avaient du mal à trouver des tondeurs : « Nous avons appris à tondre, pour rendre ce service. » Découvrant peu à peu la réalité de la filière, ils ont vu que celle-ci était en plein processus de destruction : « On était en train de désindustrialiser sans le dire, de mondialiser ; les premières industries à disparaître ont été la laine et la sidérurgie. On changeait d’échelle, les laines se jetaient parce que l’on passait, en France, d’un gros industriel qui devait pouvoir traiter une tonne par jour à une usine qui traitait dix tonnes par jour, avec donc un besoin de produits homogènes. Il y avait 40 races en France, une moyenne de 100 moutons par troupeau avec des mélanges de races pour la viande : on ne pouvait pas fournir l’industrie à cette taille-là. »

Le groupe a donc appris à classer les laines, à la tonte, pour éviter qu’elles se mélangent : « c’était le mélange, le problème. » Chacun faisait une petite formation et allait tondre.

Un jour, dans une réunion de promotion pour une douche pour les traitements anti-parasitaires des moutons, ils se sont aperçu que les moutons étaient traités au lindane, un produit très toxique (aujourd’hui interdit). Ils ont alors décidé de payer plus cher la laine non traitée : « Nous avons été les premiers à parler de commerce équitable Nord-Nord. A l’époque, on parlait chinois. »

Une clientèle dans le circuit court

En 1982, donc, ils ont créé une Scop. Ils commençaient à connaître la filière ovine. Ils avaient des compétences et des métiers : « Une méthode nous a amenés à ce que nous sommes aujourd’hui : chacun de nous avait une formation différente (institutrice, mécanicien, gestionnaire, technicien agricole, compagnon maçon, architecte, orthophoniste) et nous faisions des synthèses ensemble. »

Tout en continuant dans leurs métiers respectifs ils ont mutualisé leurs revenus et partagé les investissements (les logements, une automobile, la nourriture) pour pouvoir économiser 20 % de leurs ressources et ainsi se donner des moyens pour investir dans la coopérative.

Le choix, pour la structure à créer, a été celui de la Scop. Son principe est que 45 % des bénéfices restent dans la Scop, 45 % vont aux salariés et 10 % peuvent être versés en dividendes. La Scop a toutefois un inconvénient, c’est que le bénévolat y est interdit.

La première production de la Scop a été des matelas : ils demandaient un savoir-faire simple et peu d’investissements. Puis la gamme a été élargie avec des oreillers et des couettes. On est ensuite passés aux vêtements, ce qui était plus compliqué. Pour apprendre, les fondateurs d’Ardelaine sont allés voir des professionnels en place (« nous avons toujours été bien accueillis. »)

La commercialisation, au début, s’est faite sur les marchés locaux, ce qui ne suffisait pas. Ils sont donc passés aux foires bio (qui démarraient) : « là, nous avons trouvé une clientèle, qui nous a permis de nous développer. » En circuit court, le contact avec l’acheteur final est direct, il faut donc beaucoup expliquer ce que l’on fait : « ça marchait. »

Plutôt que de devenir « des forains », faire venir les clients

En 1989, l’équipe faisait tous les salons bio de France mais aussi six salons dans les pays européens voisins. « Nous sommes devenus des forains européens », estime Gérard. « On dit : dans toutes les entreprises il faut garder la main sur le commerce, c’est le pouvoir absolu ; en fait, nous étions devenus des commerciaux, nous n’avions jamais voulu çà. Nous avons alors réfléchi et nous avons dit « stop ! La France suffira, on va faire venir les clients ». Et nous sommes revenus au patrimonial, nous avons créé un musée ; nous avions, avec la vente par correspondance, l’outil de communication, les gens sont venus, nous sommes arrivés en cinq ans à 20 000 personnes par an et ça ne s’est jamais arrêté. »

Quelle échelle : artisanale, industrielle ?

L’expérience a toutefois montré qu’il y a « des tailles limite et des vitesses de croissance. » Gérard explique : « Quand nous sommes devenus visibles, nous avons intéressé les gros. L’authenticité française fait un malheur au Japon et nous avons eu une offre de marché dans ce pays. Nous avons refusé. La Scop est assez égalitaire ; pour répondre à ce marché, il aurait fallu avoir un atelier spécialisé, avec un système de production qui aurait cassé le groupe. Aujourd’hui, nous travaillons en contrat avec 250 éleveurs sur trois départements, nous tondons 50 000 moutons par an et nous traitons 70 tonnes (à ce moment-là, c’était 30 tonnes). Si vous avez une croissance brusque de 20 %, comment vous faites ? Si vous êtes vraiment dans la qualité, vous ne pouvez pas ; si vous le faites, cela veut dire que vous trafiquez d’une manière ou d’une autre. Si nous nous étions agrandi, il aurait fallu descendre dans la vallée, pour trouver un terrain plat ; et puis si vous suivez cette logique et si cinq ans après les Japonais arrêtent, vous êtes foutu ; ou alors vous allez dans la Vallée du Rhône et alors il vaut mieux prendre les laines d’Australie, c’est beaucoup plus simple. »

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La Scop a régulièrement embauché des salariés, un à deux tous les ans. Il y en avait 12 en 1990, aujourd’hui ils sont 50. « Nous avons toujours eu une dynamique d’investissement et de création d’activité », dit Béatrice.

Tous les dix ans il y a eu de gros investissements : le musée ; l’amélioration de la production et des conditions de production ; en 2010 un café-librairie a été ouvert avec aussi des activités pédagogiques pour pouvoir développer l’aspect culturel et une partie sur le développement alimentaire ; les productions locales ont été mises en valeur dans un restaurant (10 000 repas par an) et une conserverie de produits bio et locaux.

A la question de Pascal sur le lien entre la relocalisation et le type d’outils, traditionnels ou plus industriels, Gérard répond : « Nous avons, à plusieurs étapes, réfléchi à l’utilisation des savoir-faire anciens. En fait, nous avons un projet social, pas un projet artisanal, nous voulons agir sur le territoire. Et notre projet n’est pas à la taille du travail à la main à l’ancienne. Nous avons un modèle de développement qui n’est pas industriel, qui n’est pas non plus de l’artisanat individuel ou familial, mais ça reste artisanal. Il y a beaucoup de travail manuel, comme le but est de créer de l’emploi on n’automatise pas. » Ardelaine a toujours de vieilles machines et d’autres plus modernes.

Gérard se dit « anti-industriel primaire » : « Nous ne voulons pas devenir industriels ; ce qui nous intéresse c’est d’avoir une intégration sociale et humaine d’une filière. Nous discutons les contrats avec 250 éleveurs et d’un autre côté nous avons 3 000 clients solidaires, qui sont intervenus dans le financement. Le modèle économique, c’est d’articuler tous les usagers, nous-mêmes étant le moteur central. »

« Nous avons vu le paysage se transformer », dit Béatrice. « Il y a eu un apport de jeunesse et de revenu ; la mentalité a changé, on a vu l’impact sur les écoles, la vie associative. Le Saint-Pierreville d’aujourd’hui n’a rien à voir avec celui des années 70. » Le village compte 110 emplois, la moitié à Ardelaine, l’autre à la maison de retraite. Et, autre sujet de fierté, aujourd’hui il y a une crèche dans le village.

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