Longo Maï : une vie alternative dans le monde

L’expérience des coopérateurs de Longo Maï montre qu’il est possible de vivre de façon alternative tout en restant néanmoins reliés au monde environnant. C’est ce qu’expliquent Hannes Lammler et Ino Pries.

La cuisine collective de Grange Neuve (Photo Longo Maï).

La cuisine collective de Grange Neuve (Photo Longo Maï).

Longo Maï, la bien nommée, est une expérience qui a démarré il y a 43 ans : en provençal, « longo maï » signifie « que ça dure longtemps« . Hannes Lammler a vécu, depuis le début, ce projet de vie alternative.

L’aventure a démarré en été 1973 à Limans (près de Forcalquier, Alpes-de-Haute-Provence) dans la foulée de mai 1968. Les créateurs de cette première coopérative furent un groupe de jeunes très engagés en Suisse et en Autriche. Ayant participé aux luttes urbaines, ils étaient pour la plupart sur des listes noires et n’arrivaient pas à trouver de travail. Le contexte de la guerre froide et l’anticommunisme ambiant entretenaient un climat de peur vis-à-vis des jeunes en révolte et une tendance ä la criminalisation de leurs actes. Ainsi est née l’idée de trouver, loin des villes, des espaces délaissés et de la terre pour, dans un premier temps, subvenir à leurs besoins alimentaires, se loger et construire une vie alternative.

Le projet a, petit à petit, pris de l’ampleur. L’objectif n’était pas d’avoir une structure trop importante mais plutôt d’essaimer. C’est ce qui a été réalisé avec succès : Longo Maï compte aujourd’hui dix coopératives, en Allemagne, en Suisse, en Autriche, en Ukraine, au Costa Rica et dans le Sud-Est de la France : Treynas (Chanéac, Ardèche), Mas de Granier (Saint-Martin-de-Crau, Bouches-du-Rhône), La Cabrery (Vitrolles-en-Lubéron, Vaucluse), Grange Neuve (Limans, Alpes-de-Haute-Provence), Filature Chantemerle (Saint-Chaffrey, près de Briançon, Hautes-Alpes).

L’idée de départ est, dans un monde qui court à sa perte, « d’agir concrètement là où nous vivons« , dans un esprit de société alternative centrée sur l’amitié, le bien commun et l’entraide. Chaque coopérative fonctionne en autogestion, sans salariat : ses membres sont des bénévoles et ils sont logés et nourris.

Dans les premiers temps une certaine gauche a reproché aux promoteurs de Longo Maï de se couper du monde, de se replier sur soi. Mais l’automne qui suivit l’été 1973, des membres fondateurs furent expulsés de France par Raymond Marcellin (ministre de l’Intérieur) qui s’est transformé ainsi en promoteur contre son gré de Longo Maï : des milliers de jeunes Français ont entendu et se sont rendus en solidarité à Limans.

À travers les années chaque coopérative a réussi, non sans difficultés, à s’implanter dans son milieu environnant. Les réalisations micro-économiques comme par exemple la reprise de la transformation de la laine à la Filature de Chantemerle, à Saint-Chaffrey près de Briançon, pour compléter l’élevage de moutons en recréant une filière laine ; le maraîchage près de Saint-Martin-de-Crau qui a fourni les légumes pour des paniers hebdomadaires à l’époque précurseurs des Amap et la transformation sur place des légumes dans une conserverie artisanale, utilisée également par plusieurs paysans voisins ; la viticulture dans une ferme du Lubéron, l’exploitation de la forêt avec la transformation du bois à Treynas.

Le coup d’État du 11 septembre 1973 au Chili a motivé plusieurs membres fondateurs à s’engager pour aider les réfugiés à s’échapper des geôles de la dictature de Pinochet. L’action place gratuite, une campagne de grande envergure, a permis à près de 3 000 Chiliens de trouver un accueil en Suisse et en Autriche.

Les gens de Longo Maï ont périodiquement mené ou participé à des luttes sociales et politiques en lien avec les grandes causes internationales. Ils ont de tous temps accueilli dans leurs coopératives à la fois les visiteurs et les réfugiés politiques. « Quand quelqu’un vient, peu importe ses moyens, il peut rester le plus longtemps possible s’il y a affinité.« 

Autre témoin de l’ouverture de Longo Maï au monde, les enfants vont à l’école publique des communes ou sont implantées les coopératives. Les familles de Longo Maï ont activement contribué à la réouverture de l’école de Limans.

Transmettre la possibilité de résistance

Bien sûr, Longo Maï reste, face aux énormes transformations qui bousculent la planète, une expérience à la marge de la société. « Nous avançons très lentement« , dit Hannes. « Pendant ce temps, on a bétonné de partout. La croissance cancéreuse du capitalisme est impressionnante. Avec le premier budget de la planète qui est l’armement et le deuxième la publicité, on assiste à un développement suicidaire. Laisser créer et essaimer des alternatives de vie dans ce contexte n’est pas évident…« 

Grange Neuve. Au jardin (Photo Longo Maï).

Grange Neuve. Au jardin (Photo Longo Maï).

Longo Maï ne renonce pas pour autant à son utopie. Il se veut « un lieu école de transmission de la possibilité de résistance« . C’est notamment l’objet de ses rencontres internationales d’été qui s’étaient tenues jusqu’en 1996 et qui ont été relancées en 2016 (avec 400 participants).

La longévité de Longo Maï est en partie due à cette ouverture au monde : « Nous avons construit un réseau d’amis pour pouvoir faire un pas de côté en s’appuyant les uns sur les autres. » Et ce soutien n’a pas été inutile : « C’est la solidarité d’un large réseau d’amis qui a permis d’éviter les emprunts bancaires pour la création de nos lieux de vie. Ainsi ces terres et ces fermes ont pu sortir de la spéculation et sont la propriété de la fondation Fonds de Terre Européenne. A différents moments de notre histoire, on a essayé de nous traiter de secte, de terroristes, de truands. Si nous existons encore, c’est aussi grâce au réseau d’amis.« 

La persistance de l’expérience de Longo Maï est intéressante par les évolutions qu’elle permet d’entrevoir. Au niveau des enfants par exemple : « Ils ont grandi en groupe, ont été éduqués dans un esprit critique, de solidarité et de liberté. Certains d’entre eux ont créé une vie en commun ailleurs, par exemple dans le Tarn. Dans l’ensemble, ils n’ont pas trop envie de rupture avec ce que nous leur avons appris.« 

Et puis il y a le « troisième âge« .

Il n’y a pas beaucoup de communautés qui approchent les 50 ans. Hannes fait partie des anciens qui sont toujours et encore là. Ils réfléchissent à la meilleure manière de vivre cette tranche de la vie : Lâcher et prendre une distance de la vie active sans pour autant tourner le dos à la communauté. La tradition paysanne, là où elle a échappé au joug féodal ou citadin, a construit pour les anciens le Stöckli, la maisonnette pour les anciens. On trouve encore cette tradition dans les grandes fermes du Canton de Bern ou aussi en Allemagne (Forêt Noire). À côté de la maison principale, il y a la maisonnette des vieux, une façon de « se mettre un peu à l’écart tout en étant là« .

Pour ce qui est des modalités économiques de la retraite, Longo Maï n’a pas su mettre en place une solution européenne pour les vieux dans les différents lieux. Les coopérateurs, n’ayant pas été salariés, pourront selon le pays bénéficier d’une petite retraite ou des modestes mensualités du fonds vieillesse de la coopérative. En France, ils bénéficient de la CMU (couverture maladie universelle). « Dans ce domaine nous n’avons pas réussi à créer des structures vraiment alternatives« , dit, à ce sujet, Hannes.

Une question de l’auditoire porte sur la manière de résoudre les conflits. « Nous travaillons sur une communication non-violente« , explique Ino. « En faisant appel à des gens formés sur cette problématique quand c’est utile. Mais il y a forcément des conflits. » (…) En fait, « il n’y a pas trop de codification, il y a beaucoup de souplesse ; ça crée une tension permanente, mais c’est la vie. Il faut prendre du recul pour éviter le conflit.« 

« L’un des grands avantages de la vie en coopérative« , conclut Ino Pries, « c’est qu’elle donne la possibilité de ne pas avoir une vie en tranches de saucisson : le travail, la famille, les vacances, la politique. Nous n’avons jamais dissocié tout cela, l’accueil de réfugiés politiques, la fabrication de conserves, tout est mêlé. C’est compliqué, mais c’est passionnant.« 

La Cabrery. Après les vendanges (Photo Longo Maï).

La Cabrery. Après les vendanges (Photo Longo Maï).

En savoir plus : Site de Longo Maï

Site « Humanisme pur », les coopératives Longo Maï.

Lire, sur ce même blog, « Longo Maï, la maîtrise de la filière laine ».

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Des lectures recommandées par Hannes pour poursuivre la réflexion :

– John Berger, «Épilogue historique» (extrait du livre La Cocadrille) oppose la culture paysanne de survie à la folie capitalistique de la croissance… Pour recevoir ce texte : hannes@longomai.org

– David Graeber, « Dette, 5 000 ans d’histoire » : ouvrir le pdf, graeber (le livre est disponible aux Éditions Les Liens qui Libèrent).

– Les deux ultimes interventions lors du Monsanto Tribunal à La Haye, en vidéo : Françoise Tulkens, présidente du panel des juges ; et Marie-Monique Robin, marraine de la campagne.

Juan Branco, L’ordre et le Monde, critique du Tribunal pénal international.

Hannes Lammler « Chickenflu Opera – opération grippe aviaire« , Esprit frappeur.

– Beatriz Graff : « Longo Maï – Révolte et Utopie après 68. Vie et autogestion dans les coopératives européennes ». Editions Thesis-Ars historica 2006, ISBN 3-908544-83-1.

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