Démocratie participative à Saillans : « transformer avec les gens »

L’équipe municipale de Saillans n’a pas été élue sur un programme mais sur une méthode : associer l’ensemble de la population aux projets et aux décisions concernant la gestion de la commune. Réflexion et débats ouverts à tous, large information font partie des modalités de la nouvelle manière de faire.

Fernand Karagiannis.

Fernand Karagiannis.

« Si nous avions été candidats sur un programme, nous n’aurions pas été élus. La méthode est plus importante que le programme« , explique Fernand Karagiannis, conseiller municipal de Saillans, qui intervenait lors des Rencontres 2016 des Ami.es de François de Ravignan, du 10 au 13 novembre à Serres et Greffeil (Aude).

A Saillans, commune de 1 250 habitants de la Drôme (entre Crest et Die), un groupe de citoyens a souhaité mettre en œuvre la démocratie directe à l’occasion des élections municipales de mars 2014. Dès le départ il s’agissait d’un « projet citoyen, co-construit, très ouvert et pas du tout de la campagne d’une équipe. Nous voulions changer la pratique communale, remettre la mairie à la disposition des habitants.« 

Le groupe à l’initiative de ce projet, constitué de quelque 45 personnes, a commencé par élaborer une charte citoyenne, mettant en avant quelques principes. Puis il a organisé une réunion publique : 120 personnes y ont participé ; il leur a été proposé de travailler à un projet communal dans sept ateliers correspondant aux principales compétences d’une municipalité. Une deuxième réunion a dressé une synthèse de ces travaux ; c’est alors qu’un appel à candidatures a été lancée pour constituer une équipe municipale. Elle a obtenu, dès le premier tour des élections municipales, 12 sièges sur 15 avec 56 % des suffrages exprimés (79 % de participation).

Les habitants au centre des décisions

Une fois en place, la nouvelle équipe a « élaboré sa gouvernance » : avec le citoyen en haut du schéma, le conseil municipal, le comité de pilotage et les groupes d’action projet.

Le conseil municipal, composé des élus (c’est l’aspect du dispositif encadré par la loi), officialise les décisions. Il fonctionne au moins en binômes : les élus référents travaillent deux par deux (ou plus), y compris le maire avec la première adjointe, pour éviter les prises de pouvoir, même involontaires. Chaque élu référent partage avec un ou plusieurs autres une compétence : travaux-sécurité, social, enfance-jeunesse, association-sports-loisirs-culture, économie, environnement-énergie-mobilité, finances-budget, transparence-information. L’ensemble de l’équipe fonctionne de façon collégiale, avec un échange d’informations et des décisions prises en commun.

Le comité de pilotage est composé de tous les élus (il n’y a pas de conseils limités aux adjoints comme c’est souvent le cas dans la vie communale) et du public. Il se tient deux fois par mois et constitue l’instance principale de travail et de décision. Tous les habitants peuvent y participer et intervenir.

Les habitants sont également impliqués, avec les élus référents, dans les commissions participatives thématiques, qui correspondent aux sept principales compétences de la municipalité. Ces commissions « visent une réflexion générale, la définition des grandes orientations et l’émergence et la priorisation des actions concrètes à mettre en œuvre.« 

Les GAP (groupes d’action projet), composés eux aussi d’élus référents et d’habitants (en nombre plus réduit), travaillent sur des dossiers précis à partir de décisions concrètes définies par une commission.

Des habitants s'occupent du compost collectif (Photo Mairie de Saillans).

Des habitants s’occupent du compost collectif (Photo Mairie de Saillans).

L’un des points forts de la méthode de travail de cette municipalité est la transparence : « l’information doit être donnée aux habitants à toutes les étapes du projet« . Il y a donc des compte-rendus et des synthèses des différentes réunions, des outils d’information (agenda mensuel, site internet, panneaux dans le village, lettres d’information).

La gestion des groupes de base s’appuie sur les méthodes de l’éducation populaire, avec, la plupart du temps, un animateur.

Cette « gouvernance » est complétée par un conseil des sages. Il n’a pas pour fonction de contrôler l’action de la municipalité mais de veiller au bon fonctionnement de la gestion participative de la commune et de faire des suggestions pour l’améliorer.

Dépasser les clivages idéologiques

On l’a donc bien compris : les élus de Saillans ne sont pas, loin de là, les seuls décideurs. Ils agissent à partir des remontées des commissions et des GAP. On peut citer des actions issues de ce travail commun à la population de Saillans : compostage collectif auto-géré ; extinction de l’éclairage la nuit ; réaménagement du mobilier urbain ; places de parking ; projet de salle des fêtes ; mise en place d’un référentiel pour les cantines scolaires ; semaine de l’économie locale ; création d’un annuaire en ligne des activités économiques.

« L’une de nos difficultés« , souligne Fernand Karagiannis, « c’est un budget modeste.« 

Le conseil municipal agit dans le cadre de la loi. Cela ne l’empêche pas de prendre parfois des positions de principe hors des sentiers battus, comme une délibération défavorable aux compteurs Linky : « Nous savions qu’elle allait être retoquée par le préfet« , dit Fernand Karagiannis.

Une autre limite est la réduction des compétences des communes avec l’émergence des communautés de communes. Saillans a eu du mal, pendant les six premiers mois après les élections municipales, à se faire entendre à la Communauté de communes du Crestois et du Pays de Saillans : la majorité de ses élus a préféré attribuer une vice-présidence à l’ancien maire plutôt qu’au maire actuel, Vincent Beillard. Mais les relations ont tendance à s’améliorer ; Vincent Beillard fait désormais partie du bureau de la communauté de communes.

Pour revenir à Saillans, les décisions, au Comité de pilotage, sont prises le plus possible au consensus, ou à défaut à la majorité. « Si les avis sont très partagés, on reporte le dossier. » Les GAP, pour leur part, ne prennent pas de décision, ils préparent les dossiers, proposent des analyses et une priorisation, mais c’est le Comité de pilotage qui décide.

A ce jour, la participation des habitants reste forte. En deux ans et demi, dit Fernand Karagiannis, le tiers des habitants a au moins participé une fois à une commission ou à un GAP. « L’idée a été de faire venir tous les habitants, pas de mettre en avant les personnes alternatives du village. Il n’y a pas eu de discours idéologique, qui aurait pu bloquer.« 

« L’un des facteurs de succès est le mélange. » Ce qui n’empêche pas chacun de s’investir là où il l’entend : le GAP environnement est plutôt constitué de jeunes de moins de 40 ans ; les GAP stationnement-circulation et social plutôt par des gens plus âgés.

Jusqu’ici, l’action municipale est le résultat d’une large concertation. Il y a, dans les réunions, des avis opposés, mais pas d’opposition organisée. « La priorité, c’est de dépasser les clivages. Nous avons plus de choses en commun que de choses qui nous séparent. Faisons donc les choses que nous avons en commun.« 

« Le projet », conclut Fernand Karagiannis, « c’est de gérer une commune, de transformer avec les gens, sans imposer les choses. Certains villageois sont déçus que l’on n’aille pas plus vite mais nous voulons garder la cohérence de la démarche. Il faut aller assez doucement pour que le résultat soit là. (…) Le rôle de l’élu c’est aussi de faire monter le niveau des habitants sur les connaissances nécessaires à la gestion municipale. Il faut informer tout le monde, pas que les plus motivés, bien débattre, se concerter avant de changer quelque chose.« 

En savoir plus : Mairie de Saillans.

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